Le village préféré des Libanais : #3 Douma, la cité-village comme chez Pagnol
Date: Friday, July 15, 2016
By: Anthony SAMRANI
Source: L'orient le jour





Depuis les hauteurs de Bchealé, on perçoit en contrebas des dizaines de toits de briques rouges qui semblent dessiner un scorpion au milieu de la vallée. C'est ici qu'un ancien ambassadeur américain aurait acheté une maisonnette sans prétention dans le seul but de profiter de ce panorama exceptionnel. À l'ombre des collines, se dresse un village dont le cachet n'a quasiment pas d'équivalent au Liban. Enclave grecque-orthodoxe – comprenant une forte minorité de grecs-catholiques et une plus modeste de maronites – située dans le cœur de la montagne maronite, Douma ressemble à une petite cité commerciale égarée au milieu d'une région traditionnellement paysanne.
Jusqu'à aujourd'hui, les historiens sont divisés quant à l'origine de son nom. Certains prétendent qu'il viendrait du mot phénicien dumah, qui signifiait calme, réconfort et sérénité. D'autres considèrent que le village aurait pris comme saint patron Doumatios, un saint mésopotamien, martyrisé au IIIe siècle et connu pour ses dons de guérison. Mais la légende la plus répandue veut que le village ait été nommé ainsi en hommage à Julia Domna, l'épouse de l'empereur romain Septime Sévère, originaire d'Émèse (Homs).
De l'époque gréco-romaine, Douma conserve, en tout cas, quelques jolis trésors : des anciens temples païens datant du Ve siècle et sur les ruines desquels ont été bâties les premières églises du village et, surtout, le sarcophage du prêtre Castor, serviteur d'Esculape, dieu de la médecine, qui daterait du IVe siècle après J-C et qui trône aujourd'hui sur la place, à l'entrée du vieux souk. Dans son célèbre ouvrage, Mission de Phénicie, Ernest Renan relate sa visite à Douma et sa découverte du sarcophage sur lequel est gravé une inscription en grec ancien, en référence à Castor, que le célèbre orientaliste a été le premier à traduire.
En cette fin de XIXe siècle, Douma vit alors son âge d'or. Chef-lieu de la montagne dans le caza de Batroun au temps de la moutassarifiya, le village est un carrefour commercial entre les villes du littoral, en particulier Tripoli, et les plaines de la Békaa. Pour répondre à la forte demande, un souk, riche de plus d'une centaine de magasins, va voir le jour, et très vite concurrencer ceux de Jbeil et de Batroun.
Parmi les nombreux artisans qui monnayent leur talent dans les ruelles du souk, les maîtres forgerons occupent une place à part et équipent en armements les plus grandes figures de la montagne. Douma est alors surnommée Douma el-Hadid, en raison de l'extraction des mines de fer qui a lieu dans les alentours du village, et de leur exploitation par les maîtres forgerons dans le souk. Mais, dès la fin du XIXe siècle, cette activité perd une grande partie de son attrait du fait de la concurrence des producteurs européens. Le village peut toutefois compter sur d'autres ressources, comme la culture de l'olivier et, surtout, celle du mûrier, qui permet l'élevage du ver à soie. La soie synthétique n'existant pas encore à cette époque, la production de la montagne libanaise va permettre d'habiller, notamment via les artisans lyonnais, une partie de la bourgeoisie européenne.

Astérix chez... les Libanais
Le village bouillonne d'activités et ses habitants, guidés par un esprit de rivalité, profitent de cette période de prospérité pour construire de magnifiques demeures qui donnent au village son style unique sur le plan architectural.
Plus de 150 ans après, la grande majorité de ces 250 maisons est encore en très bon état. Même si la plupart d'entre eux n'y résident plus en hiver, les notables du village ont su entretenir leur demeure, et ouvrent aujourd'hui volontiers leurs portes aux visiteurs les plus curieux. Des immenses armoires en bois confectionnées à la main dans le souk du village, en passant par une ancienne cave où l'on cachait les armes au temps des Ottomans reconvertie en cave à vins, jusqu'au coffre en cuir orné d'or que surveille un portrait de Nicolas II : ces maisons regorgent d'objets insolites qui témoignent de l'histoire moderne de Douma.
Avec ses tuiles rouges, son souk, son théâtre – dans lequel une femme, Alice Ayoub, a tenu pour la première fois un rôle – son école « moscovite », construite par les Russes au XIXe siècle, son cinéma inauguré en 1930, sa municipalité – la plus vieille du Liban, après celle de Deir el-Qamar –, son tribunal, sa prison et son musée, Douma est une cité-village : un mélange de charme et de souvenirs qui semble tout droit sorti d'un roman de Marcel Pagnol ou d'un album d'Astérix chez... les Libanais.

Le café des larmes
« Ici, chaque famille avait traditionnellement un certain monopole sur un métier : les Chahine étaient charcutiers et pâtissiers, les Sawaya étaient forgerons, les Zahlaoui étaient glaciers (et le sont encore), les Ghanem étaient menuisiers, les Chammas étaient cordonniers, et les Wakim-Wakim étaient coiffeurs », confie Anis Chahine, avec un regard malicieux et un sourire juvénile. Ancien professeur d'université, il se met aujourd'hui gratuitement au service des touristes pour leur conter les légendes et anecdotes qui font la fierté de son village – jumelé avec Digne-les-Bains –, et leur en faire visiter les moindres recoins. Au milieu des pâtisseries, des glaciers, des maroquineries, des ateliers d'artistes, des bric-à-brac, des joueurs de cartes et des badauds, les plus curieux écoutent les mots du guide qui leur explique que dans telle maison a été écrit le brouillon de la première Constitution syrienne de 1919 ; qu'une partie de telle autre a été expropriée, selon une pratique particulière, pour créer un passage, ou que le somptueux lustre qui domine la cathédrale grecque-orthodoxe de Notre-Dame date de 1905.
« Vous voyez cette terrasse en haut de la montagne, on la surnomme Qahwet el-béké (le café des larmes). Les gens venaient y boire un arak ou deux, ou trois, mais leur bonne humeur ne résistait pas à la vue du cimetière catholique situé un peu plus bas », raconte Anis Chahine, comme pour mieux conclure le récit d'une vie de village – pas encore d'un autre temps – où les joies comme les pleurs sont le bien commun de tous les habitants.


Comment s'y rendre ?
Douma se situe dans le caza de Batroun, à 80 km de Beyrouth et à 22 km de Batroun.
Compter 1h30 de trajet en voiture en partant de Beyrouth. À Batroun, prendre la direction de Tannourine.

À ne pas rater
Les églises historiques :
Saint Siméon Stylite
Notre-Dame
Saint-Doumit
Saint-Nohra
Saint-Challita
Le monastère Saint-Jean
Le vieux souk
Le vieux cinéma
Les vieux cafés du village
Ses 240 maisons classées patrimoine national
La municipalité
Le square Digne-Les-Bains
Le tombeau d'Esculape
L'école moscovite
Les pressoirs d'huile

Fiche technique
Superficie : 11 km2
Altitude : Entre 900 m et 1200 m
Nombre d'habitants : 3 000 habitants l'été
Président du conseil municipal : Joseph Maalouf
Douma club (présidente : Hayat Hage Chalhoub). Pour toute information : 70 760 041
Festival de Douma depuis 1996, fin juillet-début août.
Hôtels :
Beit Douma : 06 520 702
Hôtel Douma : 06 520 202
Douma Palace Motel : 06 520020 | 70 520020
Mountain View Motel : 03 309126
Maison d'hôtes Diwan el-Beik
Maison d'hôtes Beit Diafeh Maatouk
Restaurants :
Esclapio : 06 520 520
Chalhoub : 03 372 537
Zahlaoui restaurant et café
Climat :
Froid en hiver, doux en été.






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